Je courais entre les arbres.
Je courais entre les arbres. Le bruit des branches et des feuilles mortes sous mes pieds brisait le silence de cet univers végétal. De temps en temps néanmoins, un son animal atteignait mes oreilles comme pour me rappeler que ce monde était bien vivant, dynamique, réaliste. La lumière dansait entre les feuilles des hauts arbres, mon ombre les étouffant et les faisait réapparaître tour à tour. Un véritable jeu de cache-cache chromatique.
Mais je ne jouais pas. Je m’enfuyais. Ou plutôt, je tentai de semer quelqu’un. Quelque chose. Téva ne m’avait pas cru quand je lui avais dit que cette forêt était bizarre. En fait, je crois en vérité qu’il m’a cru, mais qu’il a eu bien trop peur de vérifier cela avec moi. Mon côté aventurier solitaire a alors repris le dessus et j’ai décidé de confirmer cela par moi-même. Et voilà dans quel pétrin je m’étais mis.
Tout-à-coup j’aperçus une route. En vérité, je l’avais d’abord entendue, avec ses bruits rares et pressés de voitures qui semblaient passer là comme des fantômes. Je bifurquai à droite pour me rapprocher de ces sons de moteur et là, véritablement, je la vis, à une centaine de mètres de moi. Cependant, le bosquet devenait plus dense. Je haletais sans discontinuer. Et la difficulté croissante pour me frayer un chemin à travers les branchages et les arbustes amplifiait le stress et l’effroi qui m’envahissaient.
J’atteignis le bord de la route. Ouf, me disais-je, sauvé. Je regardais à gauche, puis à droite. Puis encore à gauche. Et encore à droite. J’avançais de quelques pas pour me mettre au plus près du goudron, les yeux rivés vers l’horizon. À gauche et à droite. Rien. Aucune voiture en vue. Je me mis alors carrément au milieu de la route. Toujours rien. Je me concentrai alors sur les sons. Que des oiseaux. Définitivement rien.
Puis, à ma grande frayeur, un bruit de branches cassées et de pas lourds sur des feuilles craquantes me parvint. Je ne savais pas quoi faire. Je regardai une dernière fois des deux côtés de la route, et sans réfléchir je fondis dans le bois, de l’autre côté.
Ma course reprit alors. Je savais qu’il était capable de me repérer rien qu’à l’odeur. Il fallait que je trouve le moyen de le semer, mais sa vitesse et sa force étaient impressionnantes. Je jetai un œil derrière moi : il était encore suffisamment loin pour que je ne le voie pas. Tant mieux, mais ce n’était pas suffisant.
De ce côté-ci du bois, les arbres étaient plus espacés, plus courts, ce qui faisait que la forêt, moins dense, était aussi plus lumineuse. Au début j’en étais bien content, parce que ma progression était moins laborieuse et ma vue des éléments de l’espace meilleure. Puis en réfléchissant, je me rendis compte que c’était tout à mon désavantage. Il me retrouverait plus facilement. Se cacher dans la touffe feuillée d’un arbuste était aussi une mauvaise solution : son odorat me condamnerait. Je n’avais pas le choix. Depuis le début de cette fuite d’ailleurs. Soit je le semais, soit je trouvais un moyen de le mettre hors d’état de nuire. Mais le magasin d’armes était bien trop loin d’ici…
Soudain j’entendis un cri. Il provenait de quelque chose de tout près. Je compris que c’était lui. Il s’était rapproché de moi. Il était tout proche.
Je déviai tout-de-suite ma trajectoire sur la droite afin d’avancer parallèlement à la route. Je me demandai alors pourquoi je n’avais pas continué à courir sur le bitume plutôt qu’au milieu de ce bazar chlorophyllien. J’avais été stupide. J’inclinai ma direction un peu plus encore sur la droite pour finir par revenir vers la route, après 30 secondes à me battre une dernière fois contre les plantes. Avec joie je vis une voiture arriver à toute vitesse : une BMW X1.
Terriblement réaliste.
Mais lorsque je la vis, elle était déjà à moins de 20 mètres de moi, et je n’eus pas le temps de l’appeler qu’elle continua sa route, flirtant avec les 80 km/h en émettant un bruit de moteur fantastique. Je criai et bougeai des bras tout en courant derrière elle. Rien à faire.
Je n’avais donc plus qu’à continuer à courir, mais cette fois-ci sur le bord de la route. Je m’accordai quelques secondes de répit pour reprendre mon souffle. J’étais exténué. Je transpirai abondamment. Mes vêtements étaient déchirés. Il fallait continuer. J’inspirai profondément une dernière fois avant de commencer à piquer un sprint, lorsque quelque chose bougea sur le côté. Je tournai la tête et, instantanément, je compris.
Il m’avait rejoint.
La chose surgit du bois, la gueule grande ouverte et les yeux injectés de sang. Son physique était abominable : on aurait dit un ours avec quelques traits humains. J’étais persuadé que c’était le fruit d’une expérience qui avait mal tourné. Les médias prétendaient que c’était juste un ours un peu sauvage qui se serait échappé d’un parc d’études zoologique, mais lorsque des rumeurs commencèrent à circuler en ville au sujet de cris effrayants la nuit dans les bois les plus reculés du département, ma curiosité maladive me fit découvrir l’horrible vérité. J’avais pu m’échapper parce que la bête dormait paisiblement la première fois que je l’avais vue. Mais Téva ne voulant pas y retourner avec moi après que je lui eusse raconté mon étrange découverte, j’y étais retourné, seul, décidé à apporter une preuve de ce que j’avançais. Enfin, maintenant, j’en étais moins décidé qu’avant…
La bête féroce grogna de satisfaction lorsqu’elle me vit. Un étrange sourire se dessina sur son visage. Cette créature était surréaliste, chimérique. J’étais tétanisé en la voyant doucement s’approcher, sur ses quatre pattes puissantes. Je repris mes esprits et me mis à crier tout en prenant mes jambes à mon cou. Mais j’étais perdu. Le monstre commença à son tour à courir, derrière moi, en poussant des halètements effroyablement forts. Je la sentais se rapprocher dangereusement de moi. Je me savais perdu.
Quand tout-à-coup, je vis de nouveau une voiture. La même BMW que tout-à-l’heure. J’aperçus deux personnes à l’intérieur : un homme et une femme. Sûrement cette dernière avait-elle demandé au chauffeur – qui devait être son mari – de revenir en arrière parce qu’elle avait cru voir quelque chose… Possible. Mais bon, les gens ici étaient bizarres…
La vue de ce 4X4 était la dernière chose que je vis avant de me faire projeter sur le côté avec une force extraordinaire. Mon corps se fracassa contre un arbre à côté de la route et je retombai, inconscient, gisant par terre. Je ne bougeai plus. Une flaque de sang commença à m’entourer : elle était due au coup que je venais de recevoir. Une énorme écorchure sur mon flanc droit en était la preuve. Ma chair à jour, l’animal se précipita vers moi, tandis que la voiture fit brusquement demi-tour à vive allure. Il appuya sa patte droite sur ma tête en ricanant, comme pour montrer qu’il était vainqueur. Et soudain, il concentra tout le poids de son corps sur son bras droit pour écraser mon crâne.
J’étais mort. Game over.
Je repris mes esprits. Je sentais des gouttes de sueur perler sur mon front et mon cou. Comprenant ce qui venait de se passer, je me précipitai vers ma caméra, arrêtai l’enregistrement et pris mon téléphone. Je composai un numéro avant de coller le combiné à mon oreille :
« Hey Téva, ça y est, j’ai retrouvé le monstre qui effrayaient les habitants dont je te parlais ! Cette fois j’ai une preuve, j’ai enregistré la scène du jeu en question. C’était sacrément flippant. »]